PREFACE
10 ans se sont écoulés entre le moment où, de son vivant, l’abbé Pierre a effectué un premier dépôt de documents personnels au Centre des Archives du Monde du Travail à Roubaix et la publication du présent inventaire !
La réunion définitive de l’ensemble des documents ayant appartenu à l’abbé Pierre fut une aventure en soi : pièces nombreuses et diverses, dispersées en différents lieux, récupérées après avoir été subtilisées… Au final, en plusieurs dépôts successifs, nous nous trouvons devant un ensemble exceptionnel, tant par sa richesse que par son volume. Ceci pourrait s’expliquer très mécaniquement par la longévité de l’abbé Pierre, une vie hors du commun et… fort bien remplie. On oublierait cependant que l’abbé Pierre, ayant fait vœu de pauvreté dans sa jeunesse, nous a laissé un trésor, en ne cessant lui-même d’amasser patiemment et minutieusement documents et souvenirs !
L’abbé Pierre a un seul but depuis toujours, qui explique ce paradoxe : convaincre, entraîner, amener au changement. Et pour cela, il lit, écrit, rature, souligne, collecte, documente, enregistre, photographie, copie, rassemble des preuves, inlassablement, dans des bureaux-ateliers successifs. En juillet 2001, et à propos de ces remises de documents aux Archives nationales dont il se réjouit, l’abbé Pierre écrit : « Le courrier s’entasse parce que j’ai de plus en plus de difficultés pour écrire (la main tremble) et je ne sais pas encore écrire à la machine, malgré bien des efforts ». C’est aussi et bien simplement dans cette conscience de ses limites que l’abbé Pierre attachait un grand prix à la remise de ses documents personnels au Centre des Archives du Monde du Travail à Roubaix dédié aux fonds économiques et sociaux.
Devoirs de collégien, réflexions personnelles, correspondance, photographies, dossiers thématiques, documents administratifs ou historiques, publications, livres annotés, enregistrements, tracts, discours et conférences, dessins et aquarelles, carnets d’adresses, forment ainsi une collection stupéfiante où se mêlent l’intime et le public, le souci du détail infime et les visions de l’état du monde, l’attention au plus pauvre et l’interpellation des puissants, le banal et le sublime.
Pour les militants d’Emmaüs, comme pour les chercheurs ou les admirateurs, parcourir ce premier tome de l’inventaire du fonds abbé Pierre, ses documents étonnants et pour certains détonants, procurera certainement excitation et plaisir de la découverte. Oserions-nous dire que les chiffonniers d’Emmaüs y ont quelques prédispositions ? S’y intéresser en profondeur leur permettra surtout de découvrir un parcours de vie, ses ressorts profonds, sa construction, des combats connus et moins connus. Le fonds éclaire tout cela, révèle une personnalité, met à nu un homme d’exception. Une vue d’ensemble des documents ouvre au continuum d’une réflexion et d’une suite d’engagements : le religieux, le résistant à l’occupation nazie, le député, le militant pour la paix et une citoyenneté mondiale, le fondateur des chiffonniers d’Emmaüs et de bien d’autres associations, le militant pour la justice à travers l’interpellation de l’opinion publique et des pouvoirs publics… L’inventaire aide à les mettre en perspective. La nature même des documents, leur authenticité, leur caractère parfois émouvant nous rapprochent incontestablement de l’homme que fut l’abbé Pierre. Dans ce qu’il nous lègue ainsi, ne se livre-t-il pas en vérité ?
Nous souhaitons donc de tout cœur que le travail réalisé à l’occasion de cet inventaire des documents papier, sa présentation pratique ouvrent les plus larges perspectives à tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire comme au destin d’un homme qui a marqué le XX° siècle.
L’abbé Pierre a fait d’Emmaüs International son légataire universel et c’est à ce titre que nous avons encouragé de notre mieux la préservation, la conservation et le classement de ce que nous considérons évidemment comme un patrimoine. Il est vrai également que sont liés intimement le destin de l’abbé Pierre et celui du mouvement auquel il a donné l’impulsion initiale en 1949, Emmaüs. Pour les militants actuels d’Emmaüs, pour tous ceux qui s’inviteront à la suite de l’abbé Pierre, séduits par ses intuitions géniales, nul doute qu’une plongée dans le fonds sera de nature à donner un prolongement à la force de conviction ou la capacité de révolte du personnage. Elles apparaissent en effet comme intactes. Notre attachement à l’abbé Pierre comme celui du grand public devraient pouvoir s’en trouver renforcés, les uns et les autres y puiser les énergies nouvelles que l’actualité et la persistance de l'injustice demandent de déployer.
Il n’est pas besoin de rappeler que le mouvement Emmaüs et son fondateur sont très connus en France : c’est donc naturellement et majoritairement un public français qui se tournera vers le fonds abbé Pierre. Cependant, les innombrables voyages effectués par l’abbé Pierre à travers le monde durant plusieurs décennies, ses rencontres et les initiatives prises avec des acteurs majeurs de l’histoire du XX° siècle, l’extension dès les années 50 du mouvement Emmaüs sur quatre continents, ont incontestablement étendu cette notoriété. Emmaüs International, dont la création a été voulue par l’abbé Pierre, est aujourd’hui une preuve vivante de la dimension internationale de son action, de même que d’autres initiatives qui s’y réfèrent. En attendant la mise à disposition du public des archives photographiques et audiovisuelles de l’abbé Pierre ainsi que des archives propres au mouvement Emmaüs, également déposées à Roubaix, le fonds permettra donc à un public géographiquement éloigné de connaître l’histoire d’une aventure qui a largement et durablement dépassé les frontières de l’Hexagone.
Nous aimerions enfin souligner que la mise au point du présent volume n’aura été possible que grâce à la persévérance, la discrétion, la mémoire et les compétences de Mme Françoise BOSMAN, directrice des Archives nationales du monde du travail, et de ses équipes, de Laurent DESMARD, Brigitte MARY, Clémence MODAINE, du soutien d’Emmaüs France, de la Fondation abbé Pierre pour le logement des défavorisés et des associations Emmaüs du monde entier : nous les remercions ici chaleureusement ! Dans les mois à venir, nous souhaitons de tout cœur pouvoir poursuivre le classement de la totalité des archives de l’abbé Pierre, à savoir les photographies, les films et les documents sonores : tous les soutiens seront bienvenus !
Parmi des milliers de documents, nous avons retenu la fraîcheur d’un manuscrit de l’abbé Pierre, sur cahier d’écolier et dont certains termes sont soulignés de sa main comme à l’habitude. Il s’agit des « Notes à l’intention des responsables » qui se rapportent aux premiers pas des communautés. En voici les trois premiers articles :
I. « Ce qui constitue essentiellement "Emmaüs", ce n’est pas son organisation extérieure, ses activités, son rendement en maisons bâties et en familles secourues, c’est l’esprit qui doit régir et animer ses communautés ouvrières ; l’amour des camarades en est le fondement. L’acquisition et le développement de cet esprit doivent être le souci dominant des responsables et de leurs adjoints.
II. L’esprit d’Emmaüs est fait de bonté accueillante et de patience, de compréhension et de prudence, d’indulgence et de fermeté. Il pousse à soulager tout homme en difficulté avec la vie, quelle que soit l’origine de ses malheurs. La compassion est le premier sentiment qui doit s’emparer de notre cœur à la vue de qui que ce soit qui est dans le malheur.
III. Le souci dominant du responsable sera d’aider les camarades à devenir meilleurs et à retrouver un réel bonheur de vivre. Il se souviendra que « ce n’est pas en tirant sur l’herbe qu’on fait pousser le blé plus vite ». Il saura patienter, tenir compte du petit effort, attendre la lente montée de chacun et admettre les trébuchements. »
Plus loin, sur une feuille volante, on trouve les lignes suivantes :
« Dans mes ‘notes pour les responsables’, j’ai oublié de souligner le devoir qu’ils ont d’inculquer l’esprit d’Emmaüs aux camarades avec une insistance suffisante dès leur entrée et de le rappeler assez souvent. »
Jean Rousseau
Président d’Emmaüs International
PRÉSENTATION DU DÉPOSANT.
En 1963, l'abbé Pierre est en Amérique du Sud, poursuivant ses voyages à travers le monde entamés en 1956. Le 11 juillet, le bateau sur lequel il est embarqué fait naufrage dans le Rio de La Plata, estuaire séparant l'Argentine et l'Uruguay. D'abord recensé parmi les victimes, l'abbé Pierre a finalement survécu à la catastrophe. Il prend alors conscience qu'il est l'unique lien entre toutes les communautés Emmaüs à travers le monde et que sa mort aurait à tout jamais empêché la création d' un mouvement international.
L'abbé Pierre prend alors son bâton de pèlerin. Pendant six années, il visite la vingtaine de pays du monde où existent des communautés et autres groupes d'Emmaüs, il en rencontre les dirigeants, explique sa préoccupation et son initiative de convoquer une assemblée mondiale ; peu à peu l'idée fait son chemin et un manifeste est rédigé, avec la contribution des groupes Emmaüs du monde. Six ans plus tard, en 1969, la première assemblée mondiale des groupes Emmaüs se tient à Berne en Suisse. Les 70 groupes présents adoptent le Manifeste universel du mouvement Emmaüs dont le but est "d'agir pour que chaque homme, chaque société, chaque nation puisse vivre, s'affirmer et s'accomplir dans l'échange et le partage, ainsi que dans une égale dignité" ; ils décident de créer un secrétariat international de liaison et de constituer une association. La deuxième étape est franchie en 1971 où une assemblée générale se réunit à Montréal au Canada et adopte les statuts de l'association Emmaüs International.
Emmaüs International assure la liaison entre les associations ou organisations membres à travers le monde et organise leur entraide mutuelle tout en respectant, dans le cadre de leur personnalité respective, leur autonomie propre (article 1 et 3 des statuts). Partout où cela est possible, le premier moyen utilisé est la "récupération". Dès l'origine, les communautés d'Emmaüs ont pour principe que leur subsistance dépende du fruit de leur travail. Mais il est des pays où, au sein de populations démunies de tout, il n'y a rien à "récupérer", d'autres où l'organisation de la récupération laisse peu de place à Emmaüs. Fidèles à ce principe et ne manquant pas d'imagination, les groupes d'Emmaüs créent des activités économiques qui, tout en répondant aux besoins locaux et en utilisant les ressources locales, leur procurent des moyens d'existence, des moyens d'aider autour d'eux et une liberté d'action. La liste exhaustive serait un véritable "inventaire à la Prévert" en perpétuelle évolution : agriculture, maraîchage ou élevage en Afrique ou en Inde, pêche maritime et chantier naval en Colombie, artisanat (tissage, confection, bijoux) au Bangladesh, en Inde ou en Bolivie, productions variées (savons, imprimerie, forge, fabrication d'éoliennes, de parpaings et autres matériaux de construction), activités de service (assainissement, journal de rue, cybercafés...). A l'échelle internationale, depuis 2003, Emmaüs centre son action et celle de ses membres autour de programmes prioritaires axés sur les droits humains fondamentaux. Pour la période 2008-2011, ce sont : l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, le droit à la santé, le droit à une activité économique (par le biais du fonds éthique Emmaüs) et les droits des migrants.
A la fin 2010, Emmaüs International compte 316 organisations membres réparties dans 36 pays. Elles sont regroupées au sein de quatre organisations régionales (Afrique, Amérique, Asie et Europe), chargées de mettre en œuvre les orientations du mouvement dans leur région. De plus, dans la plupart des pays, elles sont constituées en organisation nationale, pour y assurer tant la coordination interne que la nécessaire interpellation de l'opinion et des pouvoirs publics ; c'est le cas d'Emmaüs France créé en 1985. Emmaüs International tient une assemblée générale tous les quatre ans ; il dispose d'un conseil d'administration, d'un bureau (comité exécutif), d'un secrétariat international et depuis 2003 d'un comité des sages au rôle consultatif.
La dernière assemblée générale s'est réunie à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) du 8 au 13 octobre 2007. Elle a adopté entre autres une "résolution sur le thème de la convivialité des différences dans la lutte pour les droits humains" et une déclaration sur "la libre circulation des citoyens". Cette assemblée a également entériné la décision d'accepter le testament de l'abbé Pierre fin 2006 par lequel ce dernier faisait d'Emmaüs International son légataire universel.
Le siège d'Emmaüs International est actuellement situé en France, à Montreuil (47 avenue de la Résistance, 93104 Montreuil Cedex).
Emmaüs International est aujourd'hui, en tant que légataire universel de l'abbé Pierre, l'unique propriétaire de ses archives.
INTÉRÊT HISTORIQUE
Le riche parcours de l'abbé Pierre et son souci permanent de conserver toutes les traces de ses activités donnent à ce fonds une richesse indéniable. Ces archives donnent à étudier plusieurs champs de l'histoire.
Histoire religieuse.
Le fonds constitue une source sur l'ordre religieux des Capucins, au sein duquel l'abbé Pierre est entré en 1931. Les archives éclairent également sur les activités des mouvements d'action catholique tels que l'Action catholique paroissiale des hommes (ACPH), la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) ou la Jeunesse étudiante chrétienne féminine (JECF) dans les années quarante.
Histoire politique.
Du point de vue politique, ce fonds présente d'abord un intérêt pour l'étude de la Résistance en France. Les dossiers sur le maquis du Vercors, les cahiers de l'Union patriotique indépendante, les documents sur l'action de l'abbé Pierre en Algérie sont autant de sources importantes pour alimenter les connaissances sur cette période de l'histoire. Les archives de la députation de l'abbé Pierre, couvrant la période 1945-1951, éclairent un moment particulièrement important de l'histoire politique française du vingtième siècle. Une nouvelle constitution est instaurée, marquant le début de la quatrième République. D'abord député au sein des deux assemblées constituantes de 1945 et 1946, l'abbé Pierre est ensuite élu à l'Assemblée nationale où il siègera de 1946 à 1951. Les archives concernant le Mouvement républicain populaire (MRP) sont également riches d'informations sur le climat électoral de l'époque et les attentes de la population au sortir de la Seconde guerre mondiale. Ces archives sont une source pour mieux connaître ce parti politique dissout en 1967, notamment les dossiers sur les congrès nationaux de 1949 et 1950. Ce fonds contribue enfin à mieux connaître les mouvements mondialistes particulièrement actifs après 1945, notamment l'Union parlementaire européenne et le Mouvement universel pour une confédération mondiale (MUCM). Les archives conservées témoignent également de la naissance du Mouvement des citoyens du monde initié par Garry Davis et soutenu par Albert Camus, Jean-Paul Sartre ou encore Albert Einstein.
Histoire sociale et associative.
L'histoire du mouvement Emmaüs, aujourd'hui toujours ancré dans le paysage associatif français, constitue évidemment un axe de recherche important. Les archives témoignent à la fois des débuts du mouvement et de son développement en France et à l'étranger. Le fonds éclaire sur le contexte social difficile de l'époque, la pénurie de logement et la misère grandissante des foyers dans lequel Emmaüs est né. Il permet de comprendre comment s'est déclenchée en 1954 cette "Insurrection de la bonté", qui a permis à l'association de sortir de l'ombre.
Histoire de l'architecture.
Le fonds peut constituer, dans une moindre mesure, une source pour l'histoire de l'architecture, à travers les constructions de cités d'urgence et notamment la collaboration de l'abbé Pierre avec l'architecte Jean Prouvé, concepteur d'une maison préfabriquée baptisée "Maison des jours meilleurs".
Ainsi, les champs de l'histoire balayés sont nombreux. Ce fonds est le témoin d'une vie incroyablement intense, que ses archives restituent en totalité. Elles permettent de découvrir ou de mieux connaître ce personnage qui a profondément marqué la société française.
Il reste à inventorier la photothèque ainsi que les films de l'abbé Pierre dans une autre publication. Ces archives d'un autre genre apporteront une dimension ethnologique aux activités qu'il aura menées dans le monde entier.
NOTICE BIOGRAPHIQUE DE L'ABBE PIERRE
1912. Naissance d'Henri Grouès, dit l'abbé Pierre, le 5 août 1912.
1918. Élève aux collèges des Minimes, puis des Jésuites à Lyon.
1931. Il renonce, par acte notarié, à sa part du patrimoine familial et distribue ce qu'il possède à diverses œuvres de charité. Il entre dans l'ordre des Capucins sous le nom de Frère Philippe et passe sept ans dans le couvent de Crest (Drôme). C'est à cette époque que se situe sa première rencontre avec le Père Henri de Lubac, professeur de théologie.
1938. Ordination sacerdotale le 24 août.
1939. Il devient vicaire à la basilique Saint-Joseph de Grenoble.
1939-1940. Mobilisé comme sous-officier dans les Alpes et en Alsace, il est atteint de pleurésie.
1940-1941. Convalescence puis prise en charge de l'aumônerie de La Mure (Isère).
1941-1942. En charge de l'aumônerie de l'orphelinat de l'Assistance publique à La Côte-Saint-André (Isère).
1942. Il est appelé, au mois de juin, comme vicaire de la cathédrale de Grenoble. Le lendemain de la rafle du Vel d'Hiv' à Paris, Henri Grouès, qui désormais porte le nom clandestin d'abbé Pierre, accueille des Juifs rescapés d'une première rafle en zone libre. Il organise, peu après, le passage des Juifs en Suisse. En novembre, il fait passer la frontière suisse au plus jeune frère du général de Gaulle, Jacques, totalement paralytique. Il ouvre, dans le Massif de la Chartreuse, un premier lieu de refuge, puis de combat, aux premiers réfractaires au Service du travail obligatoire (S.T.O). Il rencontre pour la troisième fois le Père de Lubac qui lui indique une personne de toute confiance, capable de secret, Mlle Lucie Coutaz. Cette dernière accepte, après deux jours de réflexion, de devenir la collaboratrice de l'abbé Pierre. C'est le départ d'une collaboration de 39 ans, au cours de laquelle Mlle Coutaz fut co-fondatrice d'Emmaüs.
1942-1944. L'abbé Pierre vit dans la clandestinité. Résistant actif, il crée des maquis dans les massifs du Vercors et de la Chartreuse.
1944. Il est arrêté en mai par l'armée allemande, mais réussit à s'échapper et rejoint l'Espagne puis Alger, où il rencontre pour la première fois le général de Gaulle, le 17 juin.
1944-1945. Il s'engage comme aumônier de la Marine française et est affecté à bord du bâtiment de ligne Jean-Bart au Maroc. Il devient ensuite directeur de la Maison du Marin à Paris.
1945-1951. L'abbé Pierre est élu député MRP de Meurthe-et-Moselle. Il siège d'abord aux assemblées constituantes de 1945 et 1946 puis à l'Assemblée nationale. Il quitte le MRP en 1950 et se présente sans succès sur la liste populaire d'indépendants sans parti aux élections législatives de 1951. Engagé dans les mouvements fédéralistes, il préside le Comité exécutif du Mouvement universel pour une confédération mondiale pendant quatre ans. Il crée, parallèlement, une Auberge de Jeunesse Internationale Emmaüs à Neuilly-Plaisance afin de réconcilier la jeunesse des pays d'Europe.
1948. L'abbé Pierre rencontre Albert Einstein aux États-Unis. De retour à Paris, il rencontre Habib Bourguiba, alors militant clandestin pour l'indépendance de la Tunisie. L'abbé Pierre tente alors de le convaincre de la possibilité de parvenir à l'indépendance sans la guerre.
1949. Appuyé par le député socialiste André Philip, il dépose un projet de loi tendant à reconnaître l'objection de conscience. L'abbé Pierre entreprend la construction, souvent illégale, de logements pour les familles sans abri. En novembre, il accueille chez lui Georges, un homme désespéré qui devient alors le premier compagnon de l'abbé Pierre. Cette rencontre marque la fondation de la première communauté Emmaüs à Neuilly-Plaisance.
1949-1954. Les communautés Emmaüs se développent. Les premières cités d'urgence voient le jour à Neuilly-sur-Marne, Pontault-Combault et Pomponne.
1954. En janvier 1954, l'abbé Pierre fait déposer par ses amis parlementaires un projet de loi sur la construction de logements d'urgence avec les crédits de l'État. Le projet est rejeté par le Parlement. Le 1er février, l'abbé Pierre lance avec Georges Verpraet un appel sur les antennes de Radio-Luxembourg pour aider les sans abris victimes de l'hiver particulièrement rigoureux.
C'est "l'Insurrection de la bonté" à Paris et en province : les dons affluent, notamment à l'hôtel Rochester transformé pour l'occasion en centre de dépôt. Face à la mobilisation de la population, le Parlement vote dix milliards de francs de crédits afin de réaliser immédiatement 12 000 logements d'urgence pour les plus défavorisés. La S.A. H.L.M., l'association Emmaüs de Paris et l'Union Nationale d'Aide aux Sans-Logis (UNASL), devenue la Confédération Générale du Logement, sont créées. En mai, l'acteur Charlie Chaplin remet à l'abbé Pierre la moitié de son prix de la Paix, à savoir 2 millions de francs. En juillet, la revue Faim et Soif, organe de presse de l'abbé Pierre, est fondée.
1955. Sortie du livre de Boris Simon Les chiffonniers d'Emmaüs. L'abbé Pierre se rend aux États-Unis, à l'invitation de Jacques Maritain, et au Canada. Il rencontre Maurice Couve de Murville, ambassadeur de France aux États-Unis et le président Eisenhower à qui il remet l'édition anglaise du livre de Boris Simon avec la dédicace suivante : "Si nous ne sommes pas capables de demander à la jeunesse, pour la guerre contre la misère, autant de sacrifices et d'héroïsme - s'il le faut - que nous ne lui en avons demandé pour la guerre contre la tyrannie, alors ce n'est pas la peine de demander tant de sacrifices, car la victoire de la justice ne serait bientôt plus que moribonde". L'abbé Pierre rencontre le roi du Maroc Mohammed V, qui a envoyé le prince héritier voir le travail d'Emmaüs en France durant trois jours. Le roi demande alors qu'Emmaüs crée une action pour la disparition des bidonvilles marocains. L'Institut de recherche et d'action contre la misère du monde (IRAMM), créé peu avant par l'abbé Pierre, envoie deux volontaires au Maroc.
1957-1958. L'abbé Pierre multiplie les voyages, mais exténué, est hospitalisé à Genève. Pendant cette convalescence, l'IRAMM devient l'Institut de recherche et d'application des méthodes de développement. En 1958, l'abbé Pierre se rend en Inde. Il y rencontre Nehru et Indira Gandhi. Il fait également la connaissance du disciple de Gandhi Vinoba Bhave.
1958-1959. L'abbé Pierre multiplie les conférences et les aides notamment aux communautés et groupes d'Emmaüs qui le rejoignent ou se constituent dans les pays scandinaves et en Amérique du Sud (Argentine, Chili, Colombie, Équateur, Pérou).
1959. A l'occasion d'un voyage en Inde, l'abbé Pierre fait escale au Liban et donne une conférence au Cénacle Libanais. Après cette conférence, la communauté Emmaüs de Beyrouth, appelé l'Oasis de l'Espérance, est fondée conjointement par l'archevêque chrétien melkite Grégoire Haddad, un musulman sunnite et un écrivain maronite.
1959-1965. Les communautés Emmaüs se développent sur tous les continents. L'abbé Pierre continue son cycle de conférences et voyages (Gabon, Sénégal, Allemagne, Italie, Canada, Japon, Corée, Rwanda, Indonésie).
1961. L'abbé Pierre se rend pour trois mois à l'ermitage du Père de Foucauld à Beni-Abbès (Algérie).
1963. En voyage en Amérique du Sud, l'abbé Pierre fait naufrage à bord du Ciudad de Asunción. D'abord annoncé mort, il réalise qu'il constitue le seul lien entre les communautés Emmaüs du monde et que sa disparition aurait fortement compromis la pérennité du mouvement. Il reçoit alors des demandes pressantes pour la préparation d'un lien international entre tous les groupes Emmaüs. C'est alors qu'il décide d'une première rencontre mondiale d'Emmaüs.
1969. C'est à Berne (Suisse) que se tient la première assemblée générale d'Emmaüs International. Cette dernière adopte le Manifeste universel du Mouvement Emmaüs.
1971. Deuxième assemblée générale d'Emmaüs International à Montréal : adoption des statuts par 95 associations Emmaüs issues de 20 pays. Pour faire face à la crise qui secoue le Bengale, les Indiens organisent un colloque à Delhi. L'abbé Pierre y représente la France. Il rencontre à nouveau Mme Gandhi et lui soumet l'idée des jumelages. De retour en France, l'abbé Pierre lance "l'Appel aux 38 000 maires de France" pour des jumelages de coopération avec les camps de réfugiés Bengalis en Inde. Cet appel mènera à la fondation de l'UCOJUCO (Union des comités jumelage-coopération), devenue par la suite UCODEP (Union des comités pour le développement des peuples).
1974. Troisième assemblée générale d'Emmaüs International à Charenton-le-Pont, près de Paris.
1975. L'abbé Pierre reçoit la médaille d'or Albert Schweitzer (Fondation Goethe, Bâle) par M. René Lenoir, secrétaire d'État du gouvernement français.
1979. Quatrième assemblée générale d'Emmaüs International à Aarhus (Danemark).
1981. L'abbé Pierre est fait Officier de la Légion d'honneur dans la promotion des droits de l'homme.
1982. Décès de Mlle Coutaz le 16 mai.
1984. La cinquième assemblée générale d'Emmaüs International se tient à Namur, en Belgique. Du 26 mai au 3 juin, l'abbé Pierre jeûne dans la cathédrale de Turin, et ce, dans le cadre de l'affaire Mulinaris : au plus fort de la lutte contre le terrorisme en Italie, ce dernier, proche d'un parent de l'abbé Pierre, est maintenu en détention sans jugement durant plus de trois ans. Vanni Mulinaris sera reconnu innocent quelques temps après. Le 23 novembre, l'abbé Pierre tient la conférence Ouvrez les yeux, c'est la guerre! au Palais des Congrès de Paris.
1986. Représentation du "Mystère de la Joie", drame sacré écrit par l'abbé Pierre. Il célèbre les obsèques de Coluche le 24 juin 1986, qu'il avait soutenu lors du lancement des Restos du cœur en 1985.
1987. L'abbé Pierre devient Commandeur de la Légion d'honneur pour son action dans le domaine du logement.
1988. La sixième Assemblée générale d'Emmaüs International se réunit à Vérone, en Italie. A son issue, les membres d'Emmaüs adressent une lettre au Fonds Monétaire International sur la question de la dette extérieure des pays du Tiers-monde.
1989. Sortie du film "Hiver 54" réalisé par Denis Amar. L'abbé Pierre reçoit le Grand prix de l'Académie des sciences morales et politiques.
1990. Participation à l'élaboration de la "Loi Besson" en France en faveur du logement pour les populations défavorisées. L'abbé Pierre participe à la campagne d'Emmaüs International "pour le Renouveau démocratique" au Bénin, afin de soutenir les acteurs de la société civile béninoise.
1991. Voyages au Burkina-Faso, Liban, Argentine, Chili, Uruguay, Canada. Campagne contre la Guerre du Golfe. A la Pentecôte, l'abbé Pierre jeûne à l'église Saint-Joseph de Paris aux côtés des "déboutés du droit d'asile". Durant l'été, il apporte son soutien aux 102 familles squatters du quai de la Gare à Paris et ce, avec l'appui de nombreuses personnalités, telles que le professeur Albert Jacquard et Léon Schwartzenberg.
1992. Septième assemblée générale d'Emmaüs International à Cologne (Allemagne).
1995. L'abbé Pierre se rend à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) en compagnie de Bernard Kouchner. Il exhorte les autorités à cesser les combats débutés trois ans auparavant.
1996. Huitième assemblée générale d'Emmaüs International à Paris. Tournée du spectacle Le bal des exclus, œuvre théâtrale de l'abbé Pierre.
1996-1997. Roger Garaudy, ami de l'abbé Pierre, publie Les mythes fondateurs de la politique israélienne dans lequel il défend des thèses négationnistes. L'abbé Pierre soutient son ami accusé alors d'antisémitisme, soutien qui crée la polémique. Il décide de se retirer quelques temps dans un monastère en Italie pour fuir la tempête médiatique.
1998. Soixantième anniversaire de son ordination sacerdotale, que l'abbé Pierre fête à Assise en Italie.
1999. Cinquantième anniversaire de la naissance d'Emmaüs. Neuvième assemblée générale d'Emmaüs International à Orléans (Loiret).
2001. Remise de l'insigne de Grand Officier de la Légion d'honneur par le président de la République Jacques Chirac.
2003. Dixième assemblée générale d'Emmaüs International à Ouagadougou (Burkina-Faso).
2004. Cinquantième anniversaire de "l'Insurrection de la bonté" de février 1954. A cette occasion, l'abbé Pierre lance à nouveau un appel à mener le combat contre la misère. Élevé à la dignité de Grand'Croix de l'ordre de la Légion d'honneur par le président de la République Jacques Chirac. Il s'agit de la plus haute distinction française.
2005. Parution du livre Mon Dieu, pourquoi ? Petites méditations sur la foi chrétienne et le sens de la vie écrit en collaboration avec Frédéric Lenoir.
2007. Décès à l'hôpital du Val-de-Grâce de Paris le 22 janvier. Des obsèques nationales sont organisées à Notre-Dame de Paris le 26 janvier. L'abbé Pierre est inhumé à Esteville, commune de Seine-Maritime où il résida de nombreuses années.